C'est possible, mais peu probable
Par Peter Turchin − Le 24 avril 2025 − Source Cliodynamica
Un commentaire sur mon premier article posait la question suivante : qu'en est-il de la crise budgétaire ? Après tout, c'est l'un des trois principaux facteurs d'instabilité (avec la paupérisation et la surproduction des élites), mais je n'en ai pas beaucoup parlé ces derniers temps. C'est pourtant une question importante.
La crise budgétaire de l'État occupait une place très importante dans la formulation originale de la théorie structurelle-démographique de Jack Goldstone. L'effondrement des finances publiques et la perte de contrôle de l'appareil coercitif qui en résultait ont souvent servi de déclencheur à une escalade de la violence.
Cependant, contrairement à la surproduction des élites, qui est une condition préalable omniprésente aux crises structurelles-démographiques, la faiblesse budgétaire de l'État n'a pas été un facteur dans plusieurs cas historiques que nous avons étudiés jusqu'à présent. Elle n'a joué aucun rôle dans l'Amérique du milieu du XIXe siècle à l'approche de la guerre civile, ni dans la crise de la République romaine au Ier siècle avant notre ère. Dans les deux cas, il y avait peu de différence entre l'État et les élites au pouvoir ; l'État n'était pas vraiment un agent indépendant.
L'Amérique d'aujourd'hui est bien sûr très différente, car nous avons une énorme structure de gouvernance (ce qu'on appelle « l'État profond ») qui consomme plus de 20 % du PIB (contre environ 2 % au XIXe siècle). Néanmoins, un effondrement budgétaire similaire à ceux qui ont déclenché les guerres civiles et les révolutions en France en 1789 ou en Angleterre en 1642 ne me semble pas très probable à l'heure actuelle.
Récemment, Noah Smith a examiné en détail les trajectoires susceptibles de conduire à un effondrement budgétaire, qui pourrait prendre deux formes : l'hyperinflation ou le défaut souverain (voir Worst-case scenarios and endgames for the Trump economy). Sa conclusion est que de tels scénarios extrêmes sont peu probables, mais pas impossibles.
Un autre économiste, qui tire la sonnette d'alarme sur la dette américaine, est John Mauldin, auteur de la lettre d'information hebdomadaire Thoughts from the Frontline. Avant 2025, son attitude générale était que nous allions probablement « nous en sortir », mais plus récemment, il s'est montré de plus en plus pessimiste. Ainsi, dans une lettre publiée en janvier, intitulée « A Possible Storm » (Une tempête possible), il écrit :
Selon moi, le plus grand risque est que la persistance de taux d'intérêt élevés nuise gravement aux perspectives budgétaires du gouvernement et aux perspectives de croissance économique.
Je ne suis pas économiste, donc prenez mes propos avec des pincettes, mais pour moi, « se débrouiller tant bien que mal » semble toujours être la trajectoire la plus probable. Cela signifierait une inflation relativement élevée (mais pas une hyperinflation), qui réduirait considérablement la dette nationale, rendant ainsi inutile un défaut de paiement. Je pense également à des considérations extra-économiques. Par exemple, alors que les élites établies au pouvoir depuis longtemps ont beaucoup de mal à réduire le budget de l'État, il est plus facile pour les contre-élites de le faire. Mais c'est un vaste sujet, qu'il vaudra mieux aborder dans un autre article.
Peter Turchin
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone